Vitisphère – Le réemploi des bouteilles de vin usagées devient compétitif
Avec la flambée des prix et les difficultés d’approvisionnement en bouteilles neuves, le réemploi des bouteilles usagées devient compétitif. Il suscite de plus en plus d’intérêt parmi les producteurs et les distributeurs. Témoignages.
Une voie que vient de choisir également la maison rhodanienne Famille Ravoire. « Nous avons converti une gamme de cinq AOC en bouteilles réutilisables. Cela représentera entre 200 000 et 300 000 cols au total, annonce Alexandra Parfus, directrice marketing et développement. Nous avons calculé qu’une part très importante de nos émissions de gaz à effet de serre provient de la fabrication et du transport des bouteilles en verre. Nous avions allégé leur poids mais le réemploi constitue une piste plus viable. »
De plus en plus de metteurs en marché s’y mettent.
Du petit domaine à la maison de négoce, de plus en plus de metteurs en marché emploient des bouteilles réutilisables. Et pas seulement par militantisme. Par calcul aussi. « Actuellement, le prix d’une bouteille en réemploi est comparable à celui d’une neuve. Mais plus on sera nombreux dans cette démarche, moins ce sera cher face à l’envolée des coûts des matières premières et aux difficultés d’approvisionnement. Depuis 2021, nous avons mis en marché 20 000 bouteilles de vin réemployables, le tiers de notre production, et nous allons encore progresser », déclare Nicolas Moine, régisseur du Domaine de Sauzet, 21 ha en bio à Saint-Bauzille-de-Putois (Hérault)
Pour Alexandra Parfus, pas de doute : « le réemploi devient économiquement intéressant. Nous achetons la bouteille collectée, lavée et livrée à 0,27 €/col, alors que la même référence en neuf chez Verallia coûte aujourd’hui plus de 0,30 € ».
À Poligny (Jura), Yves Roy est un peu moins catégorique. L’an dernier, il a conditionné 10 000 cols en bouteilles réutilisables. « La Bourgogne Tradition réemployable coûtait 0,30 €, soit 10 % plus cher qu’une classique. Aujourd’hui, c’est sans doute moins cher. Et si le réemploi était plus développé, il n’y aurait plus de pénurie de bouteilles », avance-t-il.
Célie Couché, fondatrice et directrice du développement de Bout’ à Bout’, association créée il y a six ans pour le réemploi des bouteilles en Pays de la Loire, ajoute : « la plupart du temps, les bouteilles lavées sont moins chères, même si cela dépend des volumes. Nos tarifs sont stables car le coût du lavage est peu dépendant des fluctuations des matières premières ».
Le réemploi n’est ni plus cher ni plus compliqué, ajoutent les producteurs que nous avons interrogés. « Les contraintes sont faibles : on utilise une bourgogne comme avant, sauf qu’elle est agréée pour le réemploi », explique Aymeric Hillaire du domaine Mélaric. « Les bouteilles aptes au réemploi sont assez lourdes pour ne pas se casser dans les chaînes de lavage. La nôtre pèse 550 g à vide. Auparavant, pour réduire notre impact environnemental, nous avions choisi une bouteille allégée qui pesait 375 g. Mais le risque de casse était plus grand », souligne Nicolas Moine.
Cet œnologue a confiance dans la qualité sanitaire des bouteilles qui lui reviennent. « Elles sont lavées à 80 °C avec de la soude. Nous avons demandé à notre réseau Oc’Consigne qu’elles soient garanties sans résidus de soude et très pauvres en germes. Nous avons des vins sans sulfites ajoutés. Nous devons être irréprochables. Et contre le risque de bris de verre, le centre de lavage applique la démarche HACCP. C’est indispensable. »
Autre client d’Oc’Consigne, Philippe Lelong, vigneron au Pech d’André à Azillanet (Hérault), 28 ha en bio, observe que « les process de lavage sont très industrialisés, avec des capteurs et des contrôles du risque de microfissures ».
Alexandra Parfus, qui travaille avec trois réseaux, met en avant « les tests bactériologiques faits toutes les 30 minutes dans les centres de lavage ».
Des pictogrammes spéciaux.
Outre les bouteilles lourdes, il faut aussi passer aux étiquettes à colle hydrosoluble et coller un pictogramme spécial pour signaler aux consommateurs que les bouteilles sont réutilisables et les inciter à les apporter dans des points de collecte.
Pour la consigne, rien d’obligatoire, c’est laissé au choix des vendeurs, qu’ils soient vignerons, cavistes ou magasins alimentaires. Le domaine Pech d’André en applique une pour encourager ses clients à lui rapporter les bouteilles. « On leur rembourse 0,50 € par col », détaille Philippe Lelong qui est allé jusqu’à supprimer la capsule sur sa cuvée Les lunes pourpres pour simplifier le réemploi de la bouteille. « Je n’ai eu aucun retour négatif de clients. Ils ont très bien accueilli notre démarche. Le réemploi est vecteur de fidélisation », assure-t-il. Au domaine Mélaric, en revanche, pas de consigne, car on considère que c’est un geste citoyen de rapporter ses bouteilles vides.
Positif en termes d’image, le réemploi a ouvert de nouveaux marchés en magasins bio au domaine Mélaric et au domaine de Sauzet. « Le réemploi nous a attiré de nouveaux clients particuliers, enthousiastes de nous rapporter leurs bouteilles, des cavistes et Biocoop, témoigne Nicolas Moine. Nous avons renforcé notre partenariat avec cette enseigne. »
Quant à la grande distribution non spécialisée bio,« elle s’ouvre aux bouteilles réutilisables », observe Alexandra Parfus. Le réemploi devrait donc gagner du terrain, assorti ou non d’une consigne. D’autant qu’il entraîne peu de complications logistiques pour les vignerons.
Au cœur des discussions commerciales de Biocoop
Biocoop l’a annoncé en début d’année : « Notre objectif est de proposer 50 % de nos produits en emballages rechargeables ou réemployables en 2025. Aujourd’hui, nous avons une quarantaine de références en verre aptes au réemploi, en majorité des vins, et 239 de nos magasins sur 740 sont points de collecte », indique Nicolas Dauvé, responsable R&D Emballages chez Biocoop France. Un vigneron souhaitant être référencé au niveau national chez Biocoop a tout intérêt à s’engager dans une démarche de réemploi : « Ce n’est pas une obligation, mais si le modèle de réemploi est pérennisé, cela deviendra un prérequis. Le sujet est, en tout cas, au cœur de nos discussions commerciales avec les producteurs », explique Nicolas Dauvé. Biocoop n’impose pas de cahier des charges sur le lavage et le contrôle des bouteilles en réemploi. Par ailleurs, la consigne n’est pas généralisée dans les magasins Biocoop, note Nicolas Dauvé : « Dans la majorité de nos points de vente, la collecte des bouteilles vides est réalisée sans incitation financière. Notre taux de retour global est de 40 % ».
Rédigé par Ingrid Proust.
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